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Cet article est une réponse à l’article de Jacques Sapir «Les débats sur la souveraineté révélés par les évolutions des représentations de la Res Publica »
Cet article se veut un commentaire critique de l’article de Jacques Sapir commentant un ouvrage de Madame Claudia Moatti, professeur « d’histoire intellectuelle », qui traite de « l’évolution de la chose publique, de la Res Publica dans le monde romain »… c’est-à-dire des interprétations de la notion de « chose publique mais aussi des notions de légitimité et de droit ». Le présent article ne commentera pas ledit ouvrage, que l’auteur n’a pas lu, mais se revendique en tant que critique constructive à la présentation de cet ouvrage faite par Jacques Sapir.
Il est en effet intéressant, et sans doute non contestable, de savoir que le concept de « Res Publica » a subi, au temps de la Rome antique, de sérieuses variations tant quantitatives que qualitatives.
Néanmoins, ce genre d’analyse comporte, en particulier lorsqu’elle est mise en parallèle avec les temps républicains actuels, un biais intellectuel et cognitif. Une telle mise en perspective historique du concept de république a pour effet direct de tronquer les débats institutionnels en les enkystant définitivement autour du seul concept de République, avec, en arrière-fond, l’idée que la République instaurée en 1789 est incontournable.
Or, précisément, les républiques du XVIIIe siècle ne sont pas nées par hasard ou par la simple nostalgie des temps antiques. Les républiques du XVIIIe siècle sont nées de la volonté d’une nouvelle caste dominante, celle de la bourgeoisie menée par les banquiers, de prendre le pouvoir politique à un ordre ancien dominé par l’aristocratie et le clergé.
Il est ici impératif de constater que l’ordre politique de l’Ancien Régime était donc, tout imparfait qu’il était, fondé sur deux forces de valeur quasi égale et qui se faisaient face ; ces deux pouvoirs agissaient comme un contre-pouvoir l’un sur l’autre, libérant au passage un espace public libre. C’est justement sur cet espace de liberté qu’a pu se développer la bourgeoise commerçante et financière.
Or, avec l’avènement des républiques du XVIIIe siècle, la domination par, d’une part l’aristocratie et, d’autre part, le clergé catholique, a laissé la place, sous couvert de « bien public », à la domination de la seule caste de la bourgeoisie, menée par les banquiers commerçants. Pour résumer, une domination bicéphale a laissé la place à une domination monocéphale, dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement. Or, cette domination des banquiers commerçants est restée anonyme, elle s’est hypocritement cachée derrière :
- Des institutions politiques organisées autour du principe de « mandat représentatif » ;
- De belles pétitions de principes telles que la revendication de la liberté pour tous, alors qu’il s’agissait principalement de la liberté du commerce… de la libre concurrence qui bénéficie au bien commun, en oubliant de préciser qu’en système concurrentiel, seuls les plus forts s’en sortent…. Alors précisément que les critères de détermination « des plus forts » étaient fondés sur des règles, non dites, d’interprétation extrêmement flexible : ainsi, acquérir une fortune par malversations, assassinats et autres vilénies, n’en reste pas moins un signe que l’auteur de ces méfaits est « le plus fort ». La liberté de laquelle sont nées les républiques du XVIIIe siècle fait bon cas de la morale, de la droiture et de la Justice au profit de ce qui s’apparente juridiquement de facto à la glorification de la « voie de fait ».
Pour résumer, il faut constater que la liberté proclamée par les républiques du XVIIIe siècle se cache derrière des institutions politiques fondées sur la prééminence des Parlements dont les membres sont cooptés par des partis politiques avant que leur élection ne soit entérinée, sur fond de nombreuses et très opaques tractations médiatico-politiques, par un public pris en otage. Ce public – le peuple – étant dans l’incapacité totale et définitive de sanctionner les actions particulières prises par ses représentants autrement que quelques années après les faits en votant pour d’autres individus élus dans des conditions tout aussi fallacieuses et pernicieuses.
Pour parler clairement, les parlements, d’origine anglaise, généralement déployés dans le monde depuis le XVIIIe siècle ne sont rien d’autres que la vitrine présentable du fait que le pouvoir politique échoit désormais à des « partis politiques ». Or, lesdits partis ne peuvent vivre que s’ils sont financés, ce qui permet aisément aux puissances d’argent d’en prendre le contrôle. Cette prise de contrôle est d’autant plus aisée que l’accaparement généralisé des richesses, par ces mêmes puissances d’argent, est atteinte.
Ainsi, le retour à l’analyse de la Res Publica des temps antiques ne doit pas cacher les raisons et le contexte de la naissance des Républiques des temps modernes ! Il est donc impératif, pour éviter toute manipulation intellectuelle, de rappeler que si l’on peut trouver des points de ressemblance – notamment dans la terminologie utilisée – entre la Res Publica antique et les républiques modernes, il faut impérativement garder à l’esprit que les raisons profondes de la réapparition, en Occident, de la République ne sont pas tant dues à la nostalgie d’un passé glorieux et libre, plus ou moins bien interprété et réapproprié, qu’aux contraintes de la prise de pouvoir politique par une nouvelle caste arrivée à maturité : celle des banquiers commerçants.
Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique
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