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La conversion au catholicisme de Véronique Lévy est dérangeante : en raison de la mentalité oecuménique consensuelle des temps actuels, également parce qu’il s’agit de la petite sœur du maître penseur d’Etat et d’Israël, BHL, et enfin, comme souvent chez les convertis, parce qu’elle nous dit des choses étonnantes, à commencer par celle-ci :
« C’est sur une page blanche de toute religiosité qu’est née ma foi. Le Christ est venu me chercher lorsque j’avais 3 ans, sur une plage du sud de la France, par l’intermédiaire d’une petite fille, Coralie, qui m’a dit : “Si tu ne crois pas en Jésus, tu seras emportée par les robots”. Elle m’a appris le “Notre Père” et le “Je vous salue Marie”, que je me suis mise à réciter en cachette de mes parents ».
Il se trouve qu’en 1945, Bernanos écrivit « La France contre les robots » ouvrage publié à titre posthume en 47, et réédité en 1970, deux ans avant la naissance de Véronique.
A notre connaissance aucun lien n’est avéré entre cette œuvre et la phrase étonnante de cette providentielle Coralie.
Il n’est pourtant pas exclu qu’il y en ait un.
Parmi les grands écrivains catholiques français de la première moitié du XXe siècle, le plus passionné fut sans aucun doute Georges Bernanos. Romancier bouleversant (un théologien pourrait cependant avoir à redire sur sa vision tragique du combat contre le mal), il fut aussi un polémiste brillant et violent. Héritier de Léon Bloy, il aurait pu se dire comme lui « pèlerin de l’absolu » sinon « mendiant ingrat ». Aussi inspiré et intransigeant que lui, il a déconcerté encore plus que lui par ses prises de positions aussi enflammées qu’inattendues et perturbantes.
Il ne s’agit donc pas pour nous de débattre de toutes les positions et de tous les jugements de l’auteur dans ces pages par lesquelles sa fougue charrie des analyses et des vérités profondes mêlées d’erreurs, d’injustices, et d’illusions.
Ainsi, la prophétie principale de ce livre, celle d’une révolution (notion qu’il idéalise naïvement) de la jeunesse de France contre le « système » mondial ne s’est pas réalisée jusqu’à présent et semble aujourd’hui improbable. Il y eut bien le mouvement de « 68 » mais englué d’abord dans le marxisme, il fut ensuite détourné en triomphe idéologique de la modernité mondialisée.
« Hymne à la liberté », ce titre qu’il avait d’abord envisagé pour le livre, correspond bien à sa première partie, c’est-à-dire, selon lui, à l’esprit de la « civilisation française » qu’il appelle à s’insurger contre le « futur empire économique universel ».
Curieusement le mot « robot », choisi pour titre final, n’apparaît que tardivement, et seulement deux fois dans cet écrit, aux chapitres 6 et 8. Il correspond cependant bien au cœur du propos de Bernanos :
« Le premier robot, fut cette machine à tisser le coton qui commença de fonctionner en Angleterre (…). Les ouvriers anglais la démolirent » et : « obéissance et irresponsabilité, voilà les deux Mots Magiques qui ouvriront demain le Paradis de la Civilisation des Machines. La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes : la France refuse d’entrer dans le Paradis des Robots. ».
La machine n’est pas en soi un mal. Bien plus que l’instrument et l’outil, elle retire efficacement à l’Homme le travail pénible et démultiplie ses forces, mais développée sans frein, elle tend, quand elle ne le remplace pas, à le prendre dans ses rouages en le transformant lui-même en machine efficace sans états d’âme, ni répit : le robot sert l’homme mais l’homme devient robot.
Le mot « imbécile », lui, est martelé une centaine de fois (plus de 10 fois à certaines pages) avec une violence rhétorique qui vise à alerter les hommes sur leur devenir. Il doit être compris dans son étymologie : faibles de corps, d’esprit et de caractère « être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles ». Cet état d’hébétude est provoqué par le développement de ce système diabolique qui lie mécanisation, vitesse, efficacité, pouvoir du nombre « un monde dominé par la Force est un monde abominable, mais le monde dominé par le Nombre est ignoble. », profit, spéculation, et corruption, « or, il est beaucoup moins avantageux de spéculer sur les besoins de l’homme que sur ses vices, et, parmi ces vices, la cupidité n’est-elle pas le plus impitoyable ? » Il prédit qu’ainsi « on plongera dans la ruine du jour au lendemain des familles entières parce qu’à des milliers de kilomètres pourra être produite la même chose pour deux centimes de moins à la tonne ».
Crises économiques et guerres sont liées pour tendre à ce résultat : « la guerre moderne, la guerre totale, travaille pour l’Etat totalitaire » celle qui s’achevait au moment où l’auteur écrivait, n’était en réalité pas la victoire des démocraties, mot qui fait partie de ceux qui sont « déjà dangereusement vidés de leur substance » contre des dictatures « répugnants bubons que le malade porte sous chaque aisselle », elle « est la Société Moderne elle-même, à son plus haut degré d’efficience ».
Bernanos, sans avoir pu prévoir ses terribles nouveaux développements, aurait pu écrire que « le Paradis des Robots » est « sous le soleil de Satan ».
Qu’espérer ? Bien qu’aujourd’hui un Emmanuel Macron nous dise que « la France a raté il y a une vingtaine d’années la phase de la robotisation », elle n’aura pas pour autant mené l’insurrection imaginée par l’écrivain. Le salut sera, de toutes façons, au-delà : « il faudrait une révolution spirituelle analogue à celle d’il y a deux mille ans, je veux dire une nouvelle explosion du Christianisme ».
La mystérieuse petite Coralie, dont le nom, dit-on, signifierait « la jeune fille qui vient de la mer », n’avait sans doute pas, à son âge, lu ce livre. Peut-être en avait-elle entendu parler autour d’elle ? Quoiqu’il en soit, ses paroles rejoignaient l’inspiration de l’écrivain à l’égard de ce masque moderne du diable.
Dans son témoignage « Montre-moi Ton Visage », Véronique Lévy pour sa part, nous présente un parcours qui, de Coralie à son propre baptême, dura pas moins de 37 ans. Parcours aussi déconcertant que la façon dont elle l’exprime : poèmes, rêves symboliques prophétiques, citations religieuses, déchéances et exaltations mystiques, hypersensibilité et sensualité choquantes s’y mêlent dans une incohérence apparente qui restitue pourtant un itinéraire. Elle fut entraînée avec « ces paumés » dont elle faisait partie « au rythme robotique de la techno », et dans la perversion de la femme instrumentalisée, mais, en quête du Christ et de son Visage, entrant dans l’Eglise, elle ne fut pas emportée. Son cas n’est sans doute pas unique.
Bien loin des robots qui emportent les hommes, elle a choisi, pour la couverture de son livre, une admirable représentation, par Maria de Faykod, de Sainte Véronique à la sixième station du Chemin de la Croix, essuyant de son voile le Visage ensanglanté du Christ, et recevant sa miraculeuse impression.
BHL raconte que, pour une exposition thématique, il cherchait à s’informer sur les représentations artistiques de ce sujet, quand cette conversion lui « est tombée dessus » …
… Que lui arrive-t-il ?
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