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Lors de l’élection présidentielle de 2017, l’un des arguments des opposants à Marine Le Pen était que, si elle était élue, la France entière descendrait dans la rue. De ce point de vue, la supériorité de la présidence d’Emmanuel Macron n’est pas évidente.
La grève paralyse la France, et en particulier les transports urbains et ferroviaires. Commencée le 5 décembre, nul ne peut aujourd’hui dire quand elle se terminera. En cette période de Noël, ce mouvement social perturbe la vie quotidienne. L’aspect spirituel des fêtes est oublié en raison des soucis de la vie quotidienne. Le petit commerce traditionnel est pénalisé et parfois menacé (merci pour la grande distribution!). Malgré la gêne, une majorité de Français semble soutenir ce mouvement causé par la réforme des retraites que le gouvernement veut imposer envers et contre tous.
Au système actuel des retraites, dont la pérennité n’est pas garantie en raison d’un financement incertain, le gouvernement entend substituer un système tout différent. Il veut supprimer les régimes spéciaux et créer un système unique de retraite à points. Ce projet inquiète tout le monde, et les syndicats, jusqu’ici marginalisés, retrouvent un dynamisme inattendu parce qu’ils apparaissent comme un des seuls corps pouvant s’opposer à une majorité parlementaire trop docile.
Les partisans de cette majorité « la République en Marche » prétendent que le gouvernement ne fait qu’appliquer une promesse électorale, et que le gouvernement et les Français sont tenus de la réaliser du fait de l’élection d’Emmanuel Macron. Ce raisonnement est spécieux : la forte mobilisation d’opposants laisse entendre que l’accord populaire n’est pas aussi certain que ce qui est affirmé. Et, après tout, l’un des aspects de la démocratie, sans doute discutable (mais les protagonistes se prévalent tous de ce système), est que le peuple peut changer d’avis. La majorité élue dans la foulée du Président représente-t-elle encore opinion publique (et d’ailleurs l’a-t-elle jamais représentée) ? L’on retrouve ici la problématique de la démocratie représentative… et l’on comprend aussi pourquoi la République en Marche semble réfractaire à l’égard du référendum d’initiative populaire prôné par les Gilets jaunes : en Suisse, l’on aurait déjà déterminé par votation populaire si les projets du gouvernement étaient ou non approuvés.
Au surplus, il y a un arrière-plan que le pouvoir se garde bien d’évoquer. En réalité l’élection présidentielle a été « volée » par le « brain trust »–pardonnez cet anglicisme– macronien (et ex- « strauss-kahnien », ce qui explique bien les choses). En 2017, à l’époque du premier tour de l’élection présidentielle, la France basculait dans un sens conservateur et le candidat qui y correspondait le mieux, quels que soient ses défauts « (courage ! Fillon !) était François Fillon. Celui-ci a été littéralement lynché par les médiamenteurs avec la complicité d’un certain nombre d’infiltrés progressistes dans son camp (que l’on pense aux scandaleuses déclarations d’Alain Juppé, le premier ministre le plus nul de la Ve République, contre ce candidat). Ce premier tour a donc vu écarter artificiellement le candidat dont la sensibilité était la plus proche de la majorité du pays réel.
Pour le second tour, en face de Marine Le Pen, la vieille astuce de l’antifascisme a été utilisée. Les nombreux gogos qui ont accepté, pour cette mauvaises raison ou des craintes phantasmatiques, de faire front contre cette candidate (très insuffisante et discutable au demeurant), se sont donc jetés dans les bras d’Emmanuel Macron. Cependant le corps électoral, qui s’est laissé manipuler pour élire Jupiter et lui accorder dans la foulée une majorité de députés inconnus et inexpérimentés, n’est pas pour autant devenu adepte de ses propositions électorales. Celle-ci étaient floues, et, au surplus, la plupart des votants macroniens–en dehors de ceux qui les avaient élaborées à la hâte- ne les avait même pas lues… Il n’est donc pas étonnant que la majorité, dégrisée par les réalisations du Président trouvé, soit désormais méfiante à l’égard de ses initiatives. La République en Marche et son chef de file n’ont pas de vraie majorité dans le pays : l’on ne fait pas une majorité avec des ralliés pour cause de portefeuille, des électeurs de hasard et des intoxiqués des médias…
Pour mémoire, et au risque de remuer un couteau dans une plaie cruelle, l’on rappellera tout de même aux gens de la droite molle, battus et cocus qui se sont rués dans la servitude pour s’attacher sans dignité au char du vainqueur, par exemple lors des élections européennes, qu’Emmanuel Macron, ce président intronisé sur fond de pyramide, a été ministre socialiste, qu’il est apprécié des lobbys apatrides et cosmopolites, qu’il ne se cache pas d’être partisan du mondialisme et adversaire du nationalisme (il affirmait même qu’il n’y a pas de culture française !) et qu’il se veut progressiste ! L’on est loin de Jeanne d’Arc et des quarante rois qui en mille ans firent la France !
Pour en revenir à la réforme des retraites, il est extrêmement hasardeux de tenter une réforme aussi vaste. N’est pas Napoléon qui veut ! Le gouvernement aurait pu être mieux inspiré en faisant des réformes partielles qui lui auraient permis de traiter à part certains dossiers délicats mais ponctuels comme la pénibilité ou comme la durée des carrières, et de désamorcer par avance quelques difficultés.
La réforme prévue doit toucher à peu près tous les Français, il est normal qu’elle soulève de fortes vagues d’opposition, et pas seulement chez des « privilégiés » : tout le monde craint d’y perdre. L’on se rappelle que le gouvernement a précédemment mis fin à l’indexation des retraites sur le coût de la vie, ce qui, inexorablement, va paupériser les retraités. Ce précédent n’incite pas à la confiance. L’on sent confusément que le pouvoir veut encore faire des économies sur le dos des retraités et futurs retraités. C’est d’autant plus choquant qu’il a donné des gages à la fortune anonyme et vagabonde, c’est-à-dire à la haute finance apatride et internationale (un auteur nationaliste disait que le capitalisme ressemble à la propriété un peu comme Caïn ressemblait sans doute à Abel !)
Le gouvernement a choisi une curieuse méthode pour élaborer sa réforme et la faire accepter : il dit qu’il recourt à la concertation. En fait, il semble écouter les opinions des uns et des autres, mais n’en tire pas grand-chose : il maintient ses orientations initiales. Dès lors, la concertation devient simplement bavardage et enfumage.
Les buts affichés de la réforme sont : plus d’égalité (mais pour le gouvernement il semble que ce soit l’égalisation par le bas, la moins chère, qui soit recherchée) et plus de solidarité (ce qui veut dire que l’on fera payer davantage ceux qui ont réussi à équilibrer leur régime). L’idée d’une retraite à points n’est pas sans intérêt ; néanmoins elle suscite de justes craintes :en effet, la valeur du point serait fixée par les députés, c’est-à-dire la majorité qui soutient le gouvernement. Et l’on se doute que le gouvernement, ou ceux qui lui succéderont, tendra à ajuster le point en fonction de ses préoccupations financières et à utiliser le pouvoir d’achat des retraités comme variable d’ajustement. Qui sera assez naïf pour confier sa bourse au gouvernement ?
Par ailleurs le choix entre la prise en compte des dernières années d’activité ou d’une période plus longue est évidemment un sujet conflictuel : il est compréhensible que les intéressés qui bénéficient d’une prise en compte fondée sur les meilleures années ne souhaitent pas cette réforme.
L’idée suivant laquelle un régime unique de retraite serait plus juste est une erreur résultant de l’égalitarisme : toutes les carrières ne se ressemblent pas. Ainsi, à propos des régimes spéciaux, un examen au cas par cas s’impose: à situations différentes solutions différentes. En outre, il faut observer que certains régimes de retraite, comme celui des avocats, ne sont pas spéciaux mais indépendants, c’est-à-dire organisés par les professions elles-mêmes, et ne coûtent rien à l’État. L’on voit mal l’avantage qu’il y a à bouleverser ce qui fonctionne bien tout seul (à moins que l’État ne veuille profiter de l’aubaine pour taxer ces professions).
L’instauration du régime unique, si elle est maintenue, sera, au surplus, très difficile à mettre en œuvre. Il aurait été à la fois plus simple et plus sain de prévoir trois régimes : la fonction publique, le secteur privé et les indépendants. À l’intérieur de ces trois régimes, l’on pouvait faire converger les particularismes par touches successives. Le pouvoir préfère accoucher une réforme au forceps, au risque d’une crise longue dont l’issue est incertaine et le coût économique et social, mais aussi moral et psychologique, sera probablement très important.
L’on remarquera au passage la fragilité des institutions issues de la constitution rectifiée de la Ve République (élection simultanée du président et des députés, quinquennat…) qui est à l’origine du déficit d’autorité du gouvernement. Le régime ne subsiste que du fait de l’absence d’une alternative crédible, mais est incapable de susciter une véritable adhésion. Né de l’élection dans ce contexte, le pouvoir macronien craint de se retrouver devant les électeurs qui, en l’état actuel des choses, lui infligeraient vraisemblablement un désaveu. Il est probable, que, jusqu’à la fin de ce quinquennat, des crises comparables à celles des Gilets jaunes ou à l’actuelle mobilisation paralysent un pouvoir autiste. La démocratie représentative–qui ne représente qu’un pays légal éloigné du pays réel– montre là ses limites et son essoufflement.
François MARCERON
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