Pierre Vial, militant nationaliste de longue date, a publié sur le site Terre & Peuple, un étonnant article dans lequel il décrit sa rencontre, en 1958, à la permanence du mouvement nationaliste Jeune Nation, avec celui qui allait devenir célèbre sous le pseudonyme de Johnny Hallyday !
Johnny… Un flot de commentaires, de plus ou moins bon goût, a accompagné l’annonce de sa mort. Tout a été dit ou écrit à son sujet. Enfin, presque tout…
Je n’ai jamais fait état, de son vivant, d’un souvenir personnel le concernant car je ne voulais pas que cela pût le gêner, en alimentant les charognards. Aujourd’hui, là où il est, l’évocation de ce souvenir va, je l’espère, le faire sourire.
C’était en 1958. J’avais quinze ans. J’étais depuis peu adhérent du mouvement Jeune Nation, interdit par le gouvernement le 15 mai 1958. La date a son importance. Ceux qui ont vécu cette époque savent ce que je veux dire.
Mon engagement ne dérangeait pas mon père, qui avait lui aussi milité si activement au temps de sa jeunesse qu’il avait échappé de peu aux fusilleurs épurateurs de 1944-1945. Aussi lorsqu’il dut aller à Paris pour ses activités professionnelles, je lui demandai de m’emmener. Car, lui dis-je, je souhaitais voir des gens à Paris. Mon père ne me posa pas de question et m’emmena avec lui.
A Paris, pendant qu’il allait à ses rendez-vous, je me rendis à une adresse connue des membres de Jeune Nation, rue du Faubourg Saint-Denis. Des dames très maquillées se promenaient sur les trottoirs, cigarette aux lèvres. Je ne m’attardais pas à ce spectacle, car j’étais venu pour autre chose. Après l’ascension des étages d’un immeuble vétuste, je frappais à la porte où une étiquette discrète indiquait que j’étais au bon endroit. Un « vieux » (il avait au moins trente cinq ans…) m’ouvrit et me demanda, d’un ton plutôt rugueux, ce que je voulais. Je répondis en tendant la carte à mon nom frappée d’une belle croix celtique rouge (je l’ai encore) et en lui disant qu’ayant un après-midi disponible, je venais voir si je pouvais aider.
« Tu tombes bien, il y a du boulot ». Et il m’entraîna vers une grande pièce, située sous les toits. Sur de longues tables s’entassaient des enveloppes et des timbres. Un gars qui devait avoir à peu près mon âge collait méticuleusement les timbres sur les enveloppes.
« Voilà. Tu fais comme lui ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Je m’assis à côté du gars colleur de timbres.
« Bonjour, lui dis-je ». « Salut, me répondit-il », après un bref regard. Au bout de quelques minutes, alors qu’on crevait de chaleur, voulant me montrer courtois, je lui dis : « Il fait chaud, hein ? ». « Oui, il fait chaud », me répondit-il. Il n’avait visiblement pas envie de parler. Comme j’étais à l’époque, par tempérament, plutôt « taiseux », je n’insistais pas davantage.
Et l’après-midi se déroula, rythmé par nos coups de langue sur les timbres et leur application sur les enveloppes. A la fin de l’après-midi, notre tâche exaltante étant terminée, mon voisin se leva et me dit « Salut ! ». Je lui dis « Salut ! » et je partis aussi pour rejoindre mon père. Il me dit : « Tu as passé une après-midi intéressante ? ». « Oui, lui dis-je, pour faire un peu de travail avec un gars sympathique mais pas très causant ».
Quelques années plus tard, dans une rue de ma bonne ville de Lyon, je vis à la devanture d’un disquaire une pyramide de 33 tours avec, en couverture, un gars jouant furieusement de la guitare. Je m’arrêtais, intrigué. J’avais l’impression d’avoir déjà vu ce gars (« Johnny Halliday » disaient les couvertures de disques). Mais où ? Quand ? Je cherchais en vain. Et puis je n’y pensais plus. C’est le soir (la mémoire est une curieuse mécanique) que je me dis d’un coup : « Mais, ce gars, c’est celui qui collait avec moi des timbres à Jeune Nation ! ».
Johnny a été happé par un Système anthropophage. Paix à sa mémoire. Pour moi, il reste le jeune gars, inconnu et peu bavard, qui n’hésitait pas à coller des timbres tout un long d’un après-midi pour un mouvement vilipendé par les bons bourgeois. Salut à toi, camarade !
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