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C’est une question que l’on peut se poser quand on constate la mise en scène accompagnant la réédition de Mein Kampf par les éditions Fayard.
La polémique concernant cette parution, annoncée pour le 1er janvier 2016, date à laquelle l’unique écrit d’Adolf Hitler tombera dans le domaine public, est actuellement supplantée par les événements que chacun connaît. Elle a commencé très tôt, et sans doute trop tôt. Indignations et inquiétudes ont trouvé un chef de file dans la personne de Jean-Luc Mélenchon, qui demande dans une lettre à l’éditeur de renoncer : « éditer c’est diffuser, et diffuser c’est commencer à convaincre ».
Pourtant l’objet du délit était, depuis longtemps déjà, publié en français par les Nouvelles Editions Latines. Il est, de plus, aisément téléchargeable par tous sur internet, et par ailleurs déjà publié en de nombreux pays et de nombreuses langues.
Il est probable que Fayard vise, et obtiendra, un succès commercial, même s’il promet que les droits en seront reversés, on ne sait encore à quel bénéficiaire … Les protestations des indignés, que ceux-ci en soient conscients ou non, font partie intégrante de la promotion.
De très honorables raisons sont avancées pour justifier l’intérêt et le coût probable de cette nouvelle version : la traduction en serait bien meilleure, et elle serait accompagnée, comme antidote de ce poison dangereux, d’une introduction, et de moult notes et commentaires, explications ou rectifications critiques, par des historiens au-dessus de tout soupçon, ce qui devrait permettre de couper l’herbe sous le pied des exploitations fascistes, complotistes, antisémites, révisionnistes, négationnistes, de ce livre pestiféré.
On remarquera avec amusement que le premier à avoir voulu faire interdire une parution complète de ce livre en français fut Adolf Hitler lui-même. En 1934 Charles Maurras avait sollicité l’éditeur Fernand Sorlot pour sa traduction intégrale, avec le soutien improbable, inavouable, et inavoué alors, de la LICA (cette Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme n’avait pas, à cette époque, annexé le Racisme), ainsi qu’une épigraphe du maréchal Lyautey : «Tout Français doit lire ce livre », dans une volonté commune d’alerter nos compatriotes d’alors sur les dangereux projets du nouveau Chancelier allemand. Celui-ci ne voulait permettre la publication de ce livre, à cette période, qu’en versions tronquées et modifiées selon les pays et les intérêts du Reich. Il intenta un procès en France contre l’éditeur, le perdit, et le Führer fut deux fois furieux.
Il n’est pas moins amusant d’observer que ce brûlot, interdit pendant l’occupation, fut re-publié après la Libération par la même maison propriétaire des droits pour notre pays, et qu’en 1978 la « LICRA » désormais, voulut cette fois le faire interdire à son tour, avec condamnation de son ex-complice, pour « incitation à la haine raciale », n’obtenant finalement en 1979 que l’ajout de 8 pages d’avertissement.
Bientôt, donc, les germanistes pourront juger eux-mêmes de la supériorité annoncée de la nouvelle traduction, et les passionnés d’histoire de la qualité du travail d’accompagnement, mais on peut se demander pourquoi de telles précautions, et pourquoi, malgré elles, de telles craintes pour un ouvrage généralement jugé mal écrit, confus, ennuyeux, et si évidemment délirant ? Puisque cet écrit est incontestablement nul, où serait le danger et pourquoi s’opposer à une diffusion qui permettrait à chacun de s’en rendre compte ? Aurait-on peur à ce point, dans notre démocratie, du jugement du peuple ou plutôt de son absence de jugement ?
Le danger n’est pourtant pas bien grand. La majorité de ce peuple ne lit pas, parce qu’il n’aime pas, et souvent ne sait pas, lire. Pour ceux qui avaient déjà des tentations, ou simplement une curiosité, bien entendu malsaine, de ce côté, il n’est pas douteux qu’ils n’aient déjà fait cette lecture, à moindre coût et précautions. En dehors des cibles déjà citées, il y aura sûrement des victimes de la mode, des amateurs de frissons sans risque, et quelques esprits curieux qui ne se sont pas déjà fait leur idée à partir des éditions déjà existantes mais que l’encadrement prévu rassurera. Cela fera bien assez de monde pour le succès visé.
La polémique a-t-elle, pour ses promoteurs d’autres intérêts, outre celui de l’éditeur, que d’entretenir artificiellement la flamme vacillante mais encore utile de la lutte contre le fascisme supposément renaissant, dont cette réédition serait un symptôme inquiétant ? Le rappel, à cette occasion, de l’audience que connaît depuis longtemps Mein Kampf dans le monde musulman pourrait, par ailleurs, fournir des arguments au service d’autres amalgames que ceux qui sont habituellement fustigés par les médias bien pensants.
Quoiqu’il en soit, à cette occasion, tout nouveau lecteur intelligent et de bonne foi pourra constater que, contrairement à ce qui a été souvent dit, ce livre n’annonce pas tout ce qui va se passer, même s’il en dit déjà beaucoup. On n’y trouve pas, notamment, l’annonce de « la solution finale ». Dire cela n’est pas un propos négationniste condamnable, comme l’atteste la réponse de Christian Ingrao, chargé de recherches au CNRS, spécialiste du sujet, à la lettre de Mélenchon :
«Votre description du livre d’Adolf Hitler m’a tout d’abord paru pour le moins problématique : «une condamnation de six millions de personnes à mort», vraiment ? Les cinquante dernières années de labeur acharné des historiens, illustrées par l’avènement de l’école fonctionnaliste opposée à cette école intentionnaliste que vous représentez ici involontairement, ont montré que le Troisième Reich ne fut pas la réalisation d’un programme écrit dans l’ennuyeux livre du futur dictateur, mais bien que le génocide constitua l’aboutissement de politiques incohérentes, obsessionnelles, portées à l’incandescence homicide par un mélange de considérations idéologiques, logistiques, économiques et guerrières. Ni les usines de mort ni les groupes mobiles de tuerie ne sont annoncés dans Mein Kampf et il est tout simplement faux de penser accéder à la réalité du nazisme et du Génocide par la seule lecture du piètre pamphlet du prisonnier autrichien ».
Ledit pamphlet est d’abord l’évocation, selon Adolf Hitler lui-même, jusqu’au putsch manqué de 1924, de son histoire personnelle liée au devenir de l’Allemagne. Ce récit englobe des développements théoriques et prospectifs, où les accusations contre les juifs apparaissent ponctuellement derrière chaque ennemi désigné, et sont développées de façon plus continue, sur une dizaine de pages dans le cadre d’une théorie raciste, comme étant l’ennemi profond constant et corrupteur de la race supérieure des aryens dont les germains, qui doivent retrouver leur pureté, seraient le type le plus accompli. Dans sa dernière partie il considère comme une nécessité vitale pour son peuple une expansion vers l’Est, mais après avoir vaincu le premier ennemi, la plus métissée des puissances : la France « Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable ». On comprend la phrase de Lyautey !
Il est un autre démenti que peut permettre cette lecture, aussi important que celui qui précède. Michel Onfray avec sa clarté et sa force d’expression a pris ces derniers temps quelques positions aussi surprenantes que courageuses, dont il subit d’ailleurs quelque peu le contrecoup. Il demeure tout de même un point sur lequel il ne change malheureusement pas, c’est sa haine viscérale du christianisme, et la mauvaise foi avec laquelle il la justifie. Dans son Traité d’athéologie il prétend ainsi trouver dans Mein Kampf de quoi affirmer qu’Hitler était chrétien !
En réalité aucun des passages cités par lui, ni d’ailleurs aucun autre, ne fait apparaître la moindre expression de Foi chrétienne dans la prose hitlérienne, mais tout au plus, une admiration ambiguë pour l’Institution catholique, ainsi : “Ici encore, il nous faut prendre des leçons de l’Eglise catholique. Bien que son édifice doctrinal, sur plus d’un point – et souvent d’ailleurs d’une manière surtout apparente – heurte la science exacte et l’observation, elle se refuse pourtant à sacrifier la plus petite syllabe des termes de sa doctrine (…) On peut même prophétiser que dans la mesure où les phénomènes insaisissables défient et continueront de défier la poursuite des lois scientifiques sans cesse modifiées, elle sera de plus en plus le pôle de tranquillité vers lequel ira aveuglément l’attachement d’innombrables humains.”
Il reste ce qu’Onfray oublie : des reproches pour le passé, notamment en Autriche catholique, et des avertissements pour l’avenir, aux deux confessions qui se partagent l’Allemagne, dès lors qu’elles ne subordonnent pas tout à l’intérêt national et racial, car « le protestantisme par lui-même défend mieux les intérêts du germanisme (…) mais il combat aussitôt de la façon la plus hostile toute tentative de sauver la nation de l’étreinte de son ennemi le plus mortel, parce que son point de vue sur les Juifs est plus ou moins fixé d’avance dans ses dogmes »
Serait-ce par prudence et opportunisme qu’Hitler ménage ici, et plus tard ménagera encore partiellement, les convictions religieuses des allemands ?
Les Propos de Table du Fürher, notés par Martin Bormann, qui datent de juillet 1941 à juin 1942, confirment cette hypothèse et ne laissent aucun doute sur ses convictions.
Nous ne donnerons ici que quelques extraits, ayant l’embarras du choix : « C’est par le christianisme que le mensonge délibéré en matière de religion a été introduit dans le monde (…) Le christianisme est une rébellion contre la loi naturelle, une protestation contre la nature. Poussé à sa logique extrême, le christianisme signifierait la culture systématique de l’échec humain (…) j’ai toujours tenu le Parti à l’écart des questions religieuses. J’ai ainsi évité que mes partisans catholiques et protestants se dressent les uns contre les autres et que par mégarde ils s’assomment mutuellement à coups de bible et de goupillon.(…) le principal est d’être habile dans cette matière et de ne pas rechercher un conflit là où il peut être évité.(…) Un mouvement comme le nôtre ne doit pas se laisser entraîner dans des digressions métaphysiques. (…) Le mieux est de laisser le christianisme mourir de mort naturelle. Une mort lente a quelque chose d’apaisant. Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science.(…) L’être simpliste est assoiffé de croyance, et s’y accroche obscurément de toutes ses forces.(…) Je conçois que l’on puisse s’enthousiasmer pour le paradis de Mahomet, mais le fade paradis des chrétiens (…). Un nègre, avec ses tabous, écrase de sa supériorité l’être humain qui croit sérieusement à la transsubstantiation.(…) Le christianisme est la pire des régressions que l’humanité ait jamais subie, et c’est le Juif qui, grâce à cette invention diabolique, l’a rejetée quinze siècles en arrière. La seule chose qui serait encore pire serait la victoire du Juif à travers le bolchevisme ».
Nous avons gardé pour la fin cette phrase qui nous rappelle quelqu’un : « le christianisme est une invention de cerveaux malades ». Patrick Cohen, journaliste-censeur bien pensant, serait-il influencé, jusque dans ses formules, par des lectures inavouables?
Faut-il donc lire Mein Kampf ?
Cela n’est plus vital, mais permet au lecteur attentif de remarquer certains de ses mauvais usages.
Patrick Malvezin
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