Stéphane Mercier, le professeur de philosophie qui s’est retrouvé au centre d’une polémique à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL) pour avoir invité ses étudiants à réfléchir sur un argumentaire philosophique contre l’avortement a eu la gentillesse de répondre à nos questions. Son histoire est tout à fait singulière, et montre le prix qu’il faut parfois payer, au sein même de l’Europe, pour être libre et penser autrement. Vous pouvez soutenir le professeur Mercier en cliquant sur ce lien :
http://www.citizengo.org/fr/pr/45803-defendons-liberte-et-le-droit-des-professeurs-etre-contre-lavortement
Merci et bien à vous,
Stéphane Duté et toute l’équipe de CitizenGO
CitizenGO : La pétition lancée par CitizenGo pour vous soutenir a rencontré un franc succès, avec près de 28.000 signatures à ce jour. L’appel a-t-il été entendu par les autorités de l’Université Catholique de Louvain ?
Professeur Stéphane Mercier : Il n’y a pas pire sourd… Les autorités de l’Université ont donné jusqu’ici l’impression de vouloir étouffer toute l’affaire, maintenant ma suspension provisoire (depuis que le cirque a commencé) et réclamant contre moi une sanction de licenciement. Sur le fond, sur les arguments que j’ai avancés pour justifier le refus de l’avortement, on ne m’a rien dit de sérieux, puisqu’on a toujours fait valoir que nous n’étions « pas là pour parler de cela ». Or il n’y a d’échange argumenté qu’avec un interlocuteur qui accepte de s’inscrire dans une démarche de dialogue. J’ai consulté le dossier maigrichon sur base duquel cette sanction était proposée: je n’y ai rien vu qui soit de nature à justifier la moindre sanction, que du contraire ! Qu’ai-je fait d’autre que de présenter librement des arguments philosophiques très raisonnables (il est permis à chacun d’en juger par lui-même !) en faveur du droit de chaque être humain innocent à être protégé depuis le moment de sa conception ? Des arguments philosophiques en faveur de la dignité humaine, dans le cadre d’un cours de philosophie, donc. Mais bien sûr, un idéologue ne répond pas à des arguments par des arguments. La sourde oreille et le fait du prince, c’est autrement plus tentant quand on veut réduire quelqu’un au silence.
CitizenGO : Avez-vous contesté la proposition de sanction ?
Professeur Stéphane Mercier : Bien sûr, puisqu’il convient de se défendre en respectant les règles du jeu, même avec un adversaire déloyal. J’ai saisi la commission disciplinaire, comme le prévoit le règlement, pour qu’elle évalue le dossier. Un magistrat externe et deux professeurs de l’Université. Une commission qui n’était que partiellement impartiale, mais soit. Ses membres étaient à l’évidence prévenus contre moi, puisque leur travail d’information s’est doublé d’une volonté non dissimulée de justifier le point de vue des autorités académiques. Deux avocats m’assistaient ; ils ont déposé un dossier contestant toute la procédure initiée contre moi. Ils ont du reste fait remarquer que le licenciement n’est même pas une sanction prévue par le règlement interne de l’Université contre un chargé de cours invité !
CitizenGO : Quel a été l’avis de la commission ?
Professeur Stéphane Mercier : Devinez. Elle a conclu que j’avais, pour reprendre le lexique édifiant dont elle s’est servie, « instrumentalisé » mon cours au service d’un « militantisme radical » face à des étudiants « particulièrement démunis », ce qui est évidemment d’une « particulière gravité ». Reconnaissant (à demi-mots et à contrecœur) que l’on ne peut pas licitement me licencier, la commission suggère qu’on m’applique la sanction maximale prévue pour un chargé de cours invité, à savoir la suspension pour une période de trois mois. Cela fait maintenant plus de trois mois que je suis suspendu, depuis le 24 mars exactement ; ai-je donc déjà purgé ma peine avant qu’elle ne soit validée par le conseil d’administration ?
CitizenGO : C’est donc maintenant au conseil d’administration de prendre un parti, puisque l’avis de la commission ne vaut pas décision ?
Professeur Stéphane Mercier : C’est bien cela : la commission ne fait que donner un avis qualifié, enfin à ce qu’il paraît. Tout cela est vraiment ridicule et indécent : je parle du droit à la vie de chaque être humain depuis le moment de la conception, et me voilà un militant radical, dangereux pour les étudiants « démunis ». J’ai pour ma part une meilleure opinion de mes étudiants ! Et d’ailleurs ceux-ci apprécieront certainement de savoir en quelle estime les autorités tiennent leurs capacités intellectuelles… Bref. Avec mes avocats, nous allons vraisemblablement solliciter d’être publiquement entendus par le conseil d’administration. Ce n’est pas moi qui ai voulu la publicité dans toute cette affaire, comprenez-le bien : depuis le début, c’est le rectorat qui s’est engagé sur la place publique. Le règlement ne se fera donc pas dans les coulisses, ce qui devrait permettre à chacun de voir par lui-même où se trouve l’hypocrisie. Je ne fais, de mon côté, que réclamer de pouvoir librement enseigner la philosophie – après tout, je suis payé pour cela ! – en abordant des questions essentielles qui touchent la dignité humaine, et qui, à ce titre, intéressent tous les étudiants. Il va falloir que les autorités expliquent enfin clairement ce qui leur déplaît dans mon enseignement. Personne n’avait jamais remis en cause ma pédagogie depuis sept ans que j’enseigne à l’UCL comme chercheur puis comme chargé de cours. Alors si ce sont mes conclusions qui dérangent (mais qui dérangent-elles légitimement au sein d’une Université qui se présente toujours comme catholique ?), il suffit d’y répondre par des arguments. Du reste, on peut très bien être en désaccord avec quelqu’un sans éprouver le besoin pathologique de le réduire au silence par tous les moyens. Les cris d’orfraie, les gages servilement donnés à la norme du moment et les mesures discrétionnaires ne constituent pas une réponse démocratique avisée.