Le prix de nos vêtements est bien trop bas pour être honnête. Le Bangladesh, deuxième fabricant mondial, paie ses employés soixante euros par mois, pour des cadences de production infernales. Les conditions de travail y sont atroces, mortelles, comme en avril 2013, où l’effondrement d’un complexe d’usines avait tué plus de 1000 personnes et blessé plus du double. Après les grandes promesses des grandes marques de vêtements et des enseignes de la grande distribution juste après le drame, sous les feux des médias occidentaux, la situation continue. La faute en incombe à la grande distribution qui, au nom du profit, fait baisser les prix de ses fournisseurs au mépris de la sécurité et de la justice. Cette mentalité d’épicier, loin de tout esprit chrétien, corrompt tout : des gouvernements à nos comportements de consommateurs égoïstes. Les employés du textile au Bangladesh en paient le prix.
Ce début décembre, une grève d’une semaine a conduit des dizaines de milliers d’ouvriers à quitter leurs usines d’Ashulia, une banlieue de la capitale Dhaka, où se fabriquent par exemple les vêtements des marques GAP, Zara et H & M. Les employés entendaient protester contre leurs salaires toujours ridiculement bas. La police bangladaise a arrêté 30 personnes, dont sept dirigeants syndicaux, ainsi qu’un journaliste de télévision couvrant les manifestations. Pour le gouvernement du Bangladesh, cette manifestation était illégale.
Depuis, « toutes les usines ont repris leurs activités. 90 % des travailleurs ont rejoint le travail », a déclaré Nur Nabi, le surintendant-adjoint de la police.
3 500 personnes ont été licenciées, des dizaines de responsables syndicaux ont été forcés de se cacher, révèle la Fédération du vêtement et des ouvriers du Bangladesh (BGIWF), le principal syndicat des employés du secteur. Babul Akhter, le chef du BGIWF, accuse les autorités d’avoir utilisé une loi d’exception, datant de l’ère militaire, pour mettre fin brutalement aux manifestations.
L’Association des fabricants et des exportateurs de vêtements du Bangladesh a, de nouveau, rejeté la demande des syndicats de triplement du salaire mensuel minimum actuel : 69 dollars.
La mesure est brutale parce que l’enjeu est vital. La fabrication de vêtements représente 80 % des exportations du Bangladesh, une interruption prolongée aurait un impact majeur sur l’économie qui perdrait ses durs mais indispensables clients occidentaux.
Les 4 500 usines de vêtements du Bangladesh ont des antécédents déplorables en matière de salaires et de conditions de travail pour les quelque quatre millions d’employés concernés et leurs familles. Pendant des décennies, tout a été sacrifié pour conquérir des marchés d’exportation. Depuis la catastrophe du Rana Plaza en 2013, et son formidable retentissement international, 41 accusés sont jugés pour meurtre. Sohel Rana, l’éminent propriétaire de la structure de huit étages à la périphérie de la capitale, le Rana Plaza, dont l’effondrement, en avril 2013, avait causé la mort de plus de mille employés, « tombe » également de haut. Ses relations au plus haut niveau politique avaient pu lui faire croire qu’il était au-dessus des lois, aujourd’hui, les choses ont changé. « Tous les membres du gouvernement veulent que justice soit rendue », a déclaré le procureur Khandaker Abdul Mannan.
Sohel Rana, l’ancien ingénieur en chef du bâtiment et plusieurs autres propriétaires d’usines ainsi qu’une douzaine de fonctionnaires gouvernementaux sont accusés d’homicide pour avoir ignoré les ordres de fermeture administrative et forcé les employés à venir travailler, d’avoir violé les règles de sécurité des immeubles par l’ajout illégal de planchers supplémentaires.
S’il est reconnu coupable, M. Rana pourrait être condamné, en principe, à la peine de mort
ou à la réclusion à perpétuité. Mais, dans la rue, peu de gens croient qu’un homme si puissant pourrait connaître un tel sort.
Néanmoins, le tollé sans précédent qui a suivi cette tragédie humaine a obligé les détaillants occidentaux à s’engager à mener des inspections et à améliorer la sécurité incendie et la sécurité des bâtiments de milliers de fabriques. Après des années de résistance, plus de 150 entreprises principalement européennes, telles que H & M et Zara, ont finalement dû accepter un accord sur le feu et la sécurité des bâtiments au Bangladesh. Cet accord de cinq ans est juridiquement contraignant pour ces entreprises européennes.
Les sociétés nord-américaines, comme Walmart et Gap, ont préféré former l’Alliance for Bangladesh Worker Safety. La formule est plus confortable : elle impose des pénalités financières à leurs seuls fournisseurs s’ils ne se conforment pas aux mesures de sécurité.
Au final, les résultats restent médiocres. Les médias s’occupent d’autres problèmes et la plupart des marques européennes, pourtant engagées, est en retard sur la réalisation de ses promesses. La plupart des bâtiments ne sont toujours pas sécurisés parce que les propriétaires traînent des pieds et que de nombreuses marques ne remplissent pas leurs engagements de contribuer à la rénovation des bâtiments, notamment les sorties d’incendie et les réparations structurelles vitales.
C’est encore pire pour les usines suivies seulement par le programme d’inspection gouvernementale ou par l’Alliance dirigée par Walmart, qui exige des usines bangladaises, elles-mêmes, de veiller à améliorer leur sécurité. Les multinationales occidentales argumentent que les retards sont dus aux troubles politiques, à la pénurie d’ingénieurs, aux portes coupe-feu qu’il faut importer au Bangladesh.
Et le problème reste entier pour la sous-traitance. Malgré les promesses faites par les principales marques américaines et européennes de « nettoyer » leur chaîne d’approvisionnement, les usines directement sous contrat qu’elles contrôlent ne représentent que le tiers de celles qui opèrent dans le pays. D’après un rapport daté d’avril 2016, venant de chercheurs de l’Université de New York, 5 000 autres usines de sous-traitance, avec environ trois millions de travailleurs du vêtement, sont toujours sans surveillance d’aucune sorte.
Les grandes marques affirment que, si la sous-traitance est autorisée, ces usines doivent respecter les mêmes normes d’enregistrement, d’inspection et de formation que les usines membres. Cependant, les usines officielles font sous-traiter dans l’urgence, pour respecter les délais serrés exigés, de peur de perdre les contrats.
Dans un pays pauvre où les exportations de vêtements représentent près de 80 pour-cent du PIB, il est difficile de réunir les ressources et la volonté politique nécessaires pour faire appliquer la loi. « Bien que les marques mondiales communiquent sur leurs politiques strictes de lutte contre la sous-traitance non autorisée, en réalité, des millions de travailleurs de milliers de petites usines « sauvages » produisent pour elles », a déclaré Sarah Leibowitz, chercheuse principale du NYU. « Travailler dans ces usines est très risqué pour les employés bangladais, mais pratiquement aucun contrôle international ne leur est appliqué. »
Bien que les lois du travail aient été officiellement modifiées pour faciliter la formation de syndicats, les abus et l’intimidation en rendent difficile la pratique. Un rapport de Human Rights Watch en 2015 faisait état d’abus sur les lieux de travail, allant des agressions physiques, aux heures supplémentaires obligatoires, au déni de congés de maternité, jusqu’au défaut pur et simple de payer les salaires à temps ou en totalité. Ceux qui protestent font face à des menaces et aux coups par la direction de l’usine, ou par des tiers engagés, avec souvent la complicité de fonctionnaires du gouvernement.
Quant aux victimes du très emblématique drame du Rana Plaza, leur sort reste problématique. Trois après l’accident du Rana Plaza, le plus mortel de toute l’histoire de l’industrie du vêtement, la plupart des survivants et des membres de la famille des personnes tuées est confrontée à de graves difficultés économiques. ActionAid, organisation internationale non-gouvernementale, a interrogé 1 436 survivants et 786 membres de la famille de travailleurs décédés, constatant que les deux tiers des sondés éprouvent des difficultés considérables à acheter de la nourriture, à payer le loyer et à verser des prêts. Presque trois survivants sur quatre ne sont plus en mesure de travailler en raison de douleurs physiques et de traumatismes. Soixante-seize pour-cent d’entre eux continuent de recevoir des traitements de suivi, et neuf pour-cent ont leur état physique qui continue de se détériorer. Quatre pour-cent sombrent dans la misère, dépourvus de tout.
Certaines victimes du Rana Plaza n’ont reçu que 20 $ de compensation, selon le rapport d’ActionAid.
Mohammad Hatem, le premier vice-président de l’Association des fabricants et des exportateurs de tricots du Bangladesh (BKMEA), maintient pourtant que l’industrie du vêtement a fait des efforts pour aider les victimes. « Après l’accident, nous sommes allés dans les hôpitaux », a affirmé Mohammed Hatem. « Nous avons demandé aux autorités hospitalières et aux victimes de nous signaler toutes les autres victimes de l’accident. Nous avons déclaré, en diffusant l’offre dans les médias, que nous allions financer leurs traitements. Nous avons même offert de payer pour l’éducation des enfants des travailleurs décédés. Mais nous n’avons pas obtenu assez de réponses », a-t-il ajouté. « Comment donc pouvons-nous être tenus pour responsables ? »
Les répercussions médiatiques de la catastrophe du Rana Plaza ont coûté cher à l’industrie du vêtement bangladaise. Le salaire minimum est passé de 39 à 69 dollars mensuels. Les syndicats des employés du textile travailleurs avaient exigé une hausse du salaire minimum mensuel à 103 $, ce que les experts en droits du travail et les économistes jugeaient acceptable. Cela n’a pas été obtenu et certains avantages sociaux ont, affirment certains syndicalistes, été freinés par les employeurs, comme le transport gratuit jusqu’aux usines. Les objectifs de production ont également drastiquement augmenté, obligeant les employés à travailler plus d’heures par jour.
Certaines usines au Bangladesh prendraient des mesures punitives contre les employés syndiqués. « Dès que les propriétaires de certaines usines apprennent qu’un ouvrier est un membre D’un syndicat, il est licencié dans les plus brefs délais », affirme Salma Akhter Mim, secrétaire du syndicat de son usine, ajoutant que, de toute façon, la plupart des syndicats bangladais sont plus enclins à défendre les intérêts des propriétaires que ceux des travailleurs.
« Les salaires actuels sont appropriés », a péremptoirement répondu le sultan Uddin Ahmmed, directeur exécutif adjoint de l’Institut d’études sociales du Bangladesh. Il argumente que « le secteur a joué un rôle important dans l’autonomisation des femmes en leur donnant l’occasion de sortir de leurs foyers. » Il a prévenu :« Le gouvernement doit surveiller la situation pour s’assurer que les travailleurs, en particulier les travailleuses, soient motivés, car leur efficacité assurera la croissance globale du secteur. »
Le ministre bangladais du Commerce, Tofail Ahmed, nie également les allégations faites par les travailleurs du vêtement et les dirigeants syndicaux : « Aucune usine n’a retiré les avantages sociaux », a-t-il déclaré, « les salaires actuels sont corrects. Il y a eu une augmentation de plus de 200 pour-cent des salaires dans le secteur du vêtement au cours des cinq dernières années. »
Devant une telle attitude, certaines associations, aux États-Unis, notamment, exigent le boycott prolongé des vêtements du Bangladesh. Mais cela plongerait le Bangladesh dans la misère, en mettant aux chômage ses ouvriers du textile.
Une autre solution serait que les marques de vêtement internationales, et les géants de la distribution, sacrifient ne serait-ce qu’une faible partie de leurs immenses profits pour améliorer sensiblement la situation. Walmart, par exemple, s’il voulait payer 500 000 $ par an, pendant deux ans, pour financer, disons, un vrai programme de contrôle des conditions de travail au Bangladesh, ne sacrifierait qu’environ 2% du salaire de son directeur.
Sources : Paula Chakravartty, Université du Massachusetts-Amherst, Stephanie Luce, Institut Murphy de la City University de New York, Jason Motlagh du Pulitzer Center et Syed Tashfin Chowdhury, rédacteur en chef du magazine Xtra.
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