C’est avec ses mots clairs et nets, que l’archevêque émérite de Bologne, le cardinal Caffarra, un des quatre signataires des dubia envoyés au pape François, commente, pour le quotidien italien Il Foglio, l’actuelle situation de confusion de l’Église et la division parmi les évêques actuels générés par l’Exhortation bergoglienne Amoris Laetitia.
« Je crois que certaines choses doivent être clarifiées. La lettre, et les dubia attachés, a été longuement mûrie, pendant des mois, et longuement discutée entre nous. Pour ce qui me concerne, elle a été aussi longuement priée devant le Saint-Sacrement. »
« Nous étions conscients, explique-t-il, que le geste que nous allions accomplir était très sérieux. Nos préoccupations étaient deux. La première était de ne pas scandaliser les faibles dans la foi. Pour nous pasteurs c’est un devoir fondamental. La seconde préoccupation était que personne, croyante ou incroyante, puisse trouver dans la lettre des expressions qui pourraient apparaître même vaguement comme un manque de respect envers le pape. Le texte final est donc le fruit de nombreuses révisions : textes revus, rejetés, corrigés. »
Le cardinal Caffarra continue : « Qu’est-ce qui nous a poussé à ce geste ? Une considération de caractère général-structurel et une de caractère contingent-conjoncturel. Commençons par la première : Il existe pour nous cardinaux le devoir de conseiller le pape dans le gouvernement de l’Église. C’est un devoir et les devoirs obligent. De caractère plus contingent en revanche est le fait – que seulement un aveugle peut nier- que dans l’Église il existe une grande confusion, incertitude, insécurité causées par certains paragraphes d’Amoris Laetitia. Ces derniers mois il est advenu que sur les questions fondamentales qui regardent l’économie sacramentelle (mariage, confession et communion) et la vie chrétienne, certains évêques ont dit A, d’autres ont dit le contraire de A. Avec l’intention d’interpréter correctement les mêmes textes. Et « cela est un fait qui ne peut être nié parce que les faits sont têtus» comme disait David Hume. La voie de sortie de « ce conflit d’interprétation » était le recours aux critères interprétatifs théologiques fondamentaux, qui permettent raisonnablement de montrer que Amoris Laetitia ne contredit pas Familiaris consortio. Personnellement, dans des rencontres publiques avec des laïcs et des prêtres j’ai toujours suivi cette voie. » « Mais poursuit le cardinal, nous nous sommes rendus compte que ce modèle épistémologique n’était pas suffisant. Le contraste entre ces deux interprétations continuait. Il n’y avait qu’une seule manière pour en venir à bout : demander à l’auteur du texte interprété de deux manières contradictoires quelle est l’interprétation juste. Il n’y a pas d’autre voie. Se posait, alors, le problème de comment s’adresser au Pontife. Nous avons choisi une voie très traditionnelle dans l’Église, les fameux dubia. »
Le cardinal explique ce choix : « Parce que il s’agit d’un instrument qui, dans le cas où selon son jugement souverain le Saint Père avait voulu répondre, ne l’obligeait pas à donner des réponses élaborées et longues. Il devait répondre seulement par Oui ou Non. Et renvoyer, comme souvent les papes l’ont fait, aux auteurs approuvés par les autorités (dans le jargon, probati auctores) ou demander à la Doctrine pour la Foi d’émettre une déclaration conjointe pour expliquer le Oui ou le Non. Cela nous semblait la voie la plus simple. L’autre question qui se posait était si le faire en privé ou en public. Nous avons réfléchi et convenu que cela serait un manque de respect de rendre tout public dès le début. Aussi cela a été fait de manière privée, et seulement quand nous avons eu la certitude que le Saint père n’aurait pas répondu, nous avons décidé de publier. » « Nous avons interprété, continue-t-il, le silence comme une autorisation à poursuivre la confrontation théologique. Et, en outre, le problème concerne tellement profondément et le magistère des évêques (qu’ils exercent, ne l’oublions pas, non par délégation du pape mais par la force du sacrement qu’ils ont reçu) et la vie des fidèles. Les uns et les autres ont le droit de savoir. Beaucoup de fidèles et de prêtres disaient : « Mais vous cardinaux dans une situation comme celle-ci vous avez l’obligation d’intervenir auprès du Saint Père. Autrement pourquoi existez-vous si ce n’est pas pour aider le pape dans des questions si sérieuses ? » Beaucoup de fidèles étaient de plus en plus visiblement scandalisés, presque comme si nous nous comportions comme les chiens qui n’aboient pas dont parle le prophète. Ce sont les raisons derrière ces deux pages. »
« Certaines personnes, reconnaît le cardinal Caffarra, continuent à dire que nous ne sommes pas dociles au magistère du pape. C’est faux et calomnieux. C’est bien parce que nous ne voulons pas être indociles que nous avons écrit au pape. Je peux être docile au magistère du pape si je sais ce que le pape enseigne en matière de foi et de vie chrétienne. Mais le problème est exactement celui-ci : sur des points fondamentaux on ne comprend pas bien ce que le pape enseigne, comme le démontre le conflit d’interprétation entre les évêques. Nous voulons être dociles au magistère du pape, mais le magistère du pape doit être clair. Aucun de nous a voulu « obliger » le Saint Père à répondre : dans la lettre nous avons parlé de jugement souverain. Simplement et respectueusement nous avons posé des questions qui ne méritent pas enfin de compte les accusations de vouloir diviser l’Église. La division, qui existe déjà dans l’Église, est la cause de cette lettre et non son effet. Dans un contexte comme celui-ci, les insultes et les menaces de sanctions canoniques sont en revanche des choses indignes dans l’Église. Dans l’introduction de la lettre, on constatait « un grave désarroi de beaucoup de fidèles et une grande confusion par rapport à des questions très importantes de la vie de l’Église. » (Traduction de Francesca de Villasmundo)
(En raison de la longueur de l’explication du cardinal Caffarra, la suite sera traduite et publiée demain.)
Francesca de Villasmundo
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