Jean-Vincent Holeindre est professeur de science politique à l’université de Poitiers et directeur scientifique de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM). Il préside l’Association pour les études sur la guerre et la stratégie.
Dans l’action militaire, violence et intelligence sont indissociables. La stratégie militaire peut ainsi être définie comme l’art de dompter la violence armée par les moyens de l’intelligence pour en faire une force maîtrisée et efficace, capable d’emporter la victoire.
Au VIIIe siècle avant J.-C., Homère expose de manière frappante cette dualité qui fonde la grammaire stratégique dans l’Iliade et l’Odyssée. Si Achille est un guerrier fort et courageux, il ne peut réprimer ses accès de colère et son appétit du combat. Ulysse n’a pas les mêmes qualités physiques et morales, mais il compense ses faiblesses par un surcroît d’ingéniosité et de ruse. Alors qu’Achille brave de façon inconsidérée le danger, allant au face-à-face pour acquérir une gloire posthume, Ulysse, artisan du cheval de Troie, mobilise toute son habileté et son intelligence pour vivre et pour vaincre. Achille, héros de la force, est un soldat : son honneur est au-dessus de tout. Ulysse, héros de la ruse, est un stratège : seule la victoire compte.
La ruse et la force renvoient à deux traditions militaires qui peinent à cohabiter : les partisans de la ruse, à la suite, d’Ulysse, mettent l’accent sur la manœuvre, l’économie des forces, le mouvement, la surprise, tandis que les partisans de la force, après Achille, ont la culture du nombre, du choc et de la concentration des moyens. Mais dans la réalité des combats, la ruse et la force se révèlent souvent complémentaires.
Il n’existe pas de « traité » de la ruse qui pourrait être appliqué, telle une recette. Tout au plus existe-t-il, dans le domaine militaire, des « recueils de stratagèmes » qui rassemblent les hauts faits des stratégies illustres de l’histoire, il en est question dans la première partie de cet ouvrage qui porte sur la formation de la stratégie dans le contexte antique.
La deuxième partie est consacrée à la modernité stratégique, de Machiavel à Clausewitz. Dans l’ensemble, la ruse est valorisée dans la pensée moderne de la guerre : soit parce qu’elle est considérée comme l’atout essentiel d’un prince stratège qui doit faire la guerre, conquérir et conserver le pouvoir (Machiavel), soit parce qu’elle permet d’éviter des affrontements directs inutilement sanglants ou coûteux. En revanche, Clausewitz minore le rôle de la ruse, estimant qu’elle est trop difficile à concevoir et à réaliser dans les guerres modernes pour être efficace.
Enfin, la troisième partie du livre examine le devenir de la ruse et de la force dans les conflits contemporains. Le regain des conflits asymétriques et du terrorisme nous montre comment la ruse du faible vient mettre en échec la force des grandes puissances occidentales.
A travers l’histoire et jusqu’à nos jours se déploie ainsi une histoire de la stratégie qui met en scène le dialogue ininterrompu de la ruse et de la force.
La ruse et la force, Jean-Vincent Holeindre, éditions Perrin, 482 pages, 24 euros
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