« Le ciel se lèvera clair et frais sur le Mont Saint-Michel demain, 28 novembre 2020. Pour la première fois sûrement depuis que vous êtes ici, vous ne connaîtrez pas les deux drapeaux qui accompagnent le drapeau tricolore. Celui qui éveillera en vous le plus de choses, du moins nous l’espérons, un vague souvenir, est ce drap blanc semé de lys d’or portant en son centre « De France », ces trois lys d’or sur fond bleu roi et qui, dans cette version forment une garde autour du Sacré-Cœur. Le second ne vous évoque sûrement rien, à moins que… C’est celui d’un autre royaume, le royaume du rêve, de la grandeur, des causes perdues mais que l’on abandonne jamais, du Panache en somme. Finalement, ces deux royaumes sont comparables en de nombreux points mais cela n’est ni le lieu ni le moment d’en parler. Le premier est bien réel, même s’il n’évoque rien pour les milliers de milliers qui forment la population de notre pays. Le second est un royaume d’âmes, c’est une patrie de rechange que nous gagnons certains soirs de tempête parce qu’il renferme ce que nous chérissons tant et que nous ne trouvons plus dans notre vieille France.
C’est ainsi que, par une froide et sombre nuit d’automne, sept cavaliers quittèrent leurs villes qui n’étaient plus gardées… afin de s’échapper quelques heures de la tiédeur ambiante de cette France qui dort profondément. Lever les couleurs sur ce rocher, ce bastion centenaire symbole de cette grandeur qui a fait la France n’est point une provocation. C’est un joli geste, un beau trait lancé dans le vide au hasard d’une âme qui saurait le lire. « Ça ne sert à rien » êtes-vous en train de vous dire. Et vous avez bien raison. C’est précisément parce que le geste est beau mais inutile qu’il a de la valeur. »
Arnaud Florac, pour Boulevard Voltaire, rend hommage à ces sept cavaliers par ce très beau texte que nous vous proposons comme une part de rêve dans ce monde de cauchemards :
Notre monde est triste et froid, violent et sale, dangereux et plein de haine, gorgé de médiocrité comme une terre lasse est gorgée d’eau noire. Il a cessé de rêver et de respecter ; il traque la grandeur, le sacré, la tendresse et tout ce qui, de manière générale, nous empêche d’être des bêtes ou des robots.
Nous sommes en l’an de grâce 2020 : pas d’État, pas de nation, pas de sécurité ni de droits ; leur nouveau monde ressemble à un Moyen âge d’Apocalypse, sans Dieu ni roi, mais avec la 5G, les points-presse à la télé, les pièces justificatives et les transports en commun.
Et pourtant… Dans la nuit de vendredi à samedi, sept individus se sont introduits dans le Mont-Saint-Michel en passant par la porte de l’avancée du village, qui n’était pas gardée. Ils ont hissé, sur la tour du Roi, les drapeaux du royaume de France et de celui de Patagonie, la patrie réelle et le royaume des rêves, tous deux à égale distance de la République administrative, de sa bassesse, de sa haine recuite et de ses monstrueux rêves de comptable.
Ce geste était parfaitement inutile. Sans doute ces drapeaux ont-ils fini à la poubelle, grâce à la vigilance citoyenne de la maréchaussée. Au fond, peu importe. Ces sept cavaliers n’ont fait que témoigner devant Dieu et eux-mêmes : leur fidélité et leur panache ne feront pas le buzz. Il y a plus urgent à salir.
Il faut lire leur lettre, laissée sur place à l’attention de celles-et-ceux qui arriveront en premier sur les lieux. Elle dit tout de la loyauté souterraine, invisible et inaliénable de ceux que La Varende appelait « les manants du Roi »: maneo, en latin « je reste, je demeure ». Ces gens libres sont ceux qui restent, ils sont aussi ce qui reste.
La République, elle n’est pas contente, j’imagine. Ou elle s’en moque. Au fond, encore une fois, peu importe. Là-haut, feu monsieur le consul général (1) a souri. Et, pour une poignée de cœurs rebelles, les drapeaux de la France qui ne passe pas (il n’y a pas plus réel) et de la patrie de secours des âmes romanesques (il n’y a pas plus vrai), se sont élevés, côte à côte, un instant, dans l’air marin, à la pointe de l’Occident, sur un vaisseau de pierre que même les touristes n’ont pas réussi à faire couler.
Honneur et gratitude à ces sept cavaliers. Grâce à eux, aujourd’hui, avant la fermeture automatique des portes, nous entendrons peut-être claquer, comme en songe, deux étendards entre lesquels, pour une fois, nous n’aurons pas à choisir. Et la vie reprendra son cours.
Sources : L’Etudiant libre et Boulevard Voltaire
(1) Note de la rédaction de MPI : Feu Jean Raspail
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