Le comte Jean Lefebvre d’Ormesson, de l’Académie Française, est mort. Je n’ai repris que deux fois des moules, je ne suis pas un afficionado des fruits de mer, mais par contre j’ai repris deux fois des carottes vichy. Cette petite allusion au regretté Pierre Desproges me fait penser au Tribunal des Flagrants délires, ce qui sans transition – comme le disait le brave Juan María Bordaberry – va me permettre d’instruire, outre nos lecteurs, le procès du regrettable d’Ormesson. Car il y a beaucoup à dire, et des choses que vous ne lirez pas dans la presse.
Jean d’Ormesson est issue d’une noble branche qui mérite qu’on s’intéresse au tronc. Du côté materne, les Arisson du Perron, il descend en droite ligne de Louis Lepeletier de Saint-Fargeau, régicide, franc-maçon (loge Phoenix) qui proposait d’interdire l’enseignement religieux et d’enlever les enfants à leurs familles dès l’âge de cinq ans afin qu’ils fussent élevés par l’Etat. Il ne put mettre en place son projet, puisqu’il fut sabré par le braver officier royaliste Philippe Nicolas Marie de Pâris. Avec un tel ancêtre, il n’est guère étonnant de voir Jean d’Ormesson incarner la droite louis-philipparde. Ce genre de droite qui se veut moelleuse comme un fondant au chocolat mais qui est molle comme un vénérable camembert (sans parler de la droite ralliée à Macron qui est au stade du casu marzu).
Jean d’Ormesson était un philocommuniste notoire. Pas seulement parce que le cysticerquesque Askolovitch rappelle dans Slate que dans la vie réelle, Leroy et d’Ormesson se connaissaient depuis toujours. D’Ormesson avait été invité, avec Ferrat, au pot de départ de Leroy. Ils partageaient l’amour d’Aragon, ce communiste et esthète à la fois, l’auteur du Mentir-Vrai. Leroy et d’Ormesson débattaient ensemble, vieillards complices, dans un hommage à Aragon organisé par l’Humanité en 2012.
Il n’a surtout jamais négligé un soutien à l’URSS. Au Figaro, il animait dans le temps la Chronique du temps qui passe (transformé le temps d’un pastiche en Chronique du paon qui tasse par Aramis…). Il a réuni tous ses éditoriaux dans Jean qui grogne et Jean qui rit. S’il tenait tant à prendre un titre de la comtesse de Ségur, Mémoires d’un âne aurait été plus approprié… A la différence de son cousin germain Olivier Lefebvre d’Ormesson, que l’expansion du communisme rendait maussade, lui s’en accommodait fort bien. Ce en quoi il reprenait une tradition familiale : son oncle, Wladimir Lefebvre d’Ormesson – qu’une grande plume de la droite nationale, était-ce Daudet ou Rebatet ? – avant surnommé « Wladimir d’endormesson » déclarait déjà au Figaro le 31 août 1944 : « Le maréchal Staline… apparaît comme l’un des plus grands héros de tous les temps ». Dans le Figaro Littéraire du 9 septembre 1999, il déclarait à son collègue Patrick Besson : « J’aurais voulu être un héros de l’Union Soviétique » car pour lui, les communistes « veulent le bonheur de l’humanité et cela leur donne une autre dignité » (propos tenus sur Antenne-2 le 24 novembre 1989). Deux semaines après l’invasion de l’Afghanistan, il déclarait dans Le Figaro Magazine du 19 janvier 1980 : « Malgré Prague et malgré Kaboul, je reste un partisan de la détente avec l’URSS » Il s’associa aux cérémonies du bicentenaire de la Révolution Française, notamment en participant à une cérémonie soviétique sur le Mont Elbrouz (point méridional de l’avance allemande dans le Caucase). En 2001, il loua Hervé Bourges, collabo de la dictature FLN, en ces termes : « Il n’a jamais caché ses opinions de gauche. Elles sont tout à fait légitimes, elles lui font honneur, on l’en féliciterait plutôt » (propos reproduit dans son livre Dieu, les affaires et nous ».
Jean d’Ormesson appela bien évidemment à l’interdiction du Front National dans Le Figaro du 3 avril 1992 : « Il y a une solution assez simple au problème : il faut l’interdire. Je n’y verrais, pour ma part, pas le moindre inconvénient ».
Jean d’Ormesson n’était pas Frédéric Mitterrand, sauf peut être dans la rubrique de « chéri des loges » (je parle bien sûr des loges de concierges). Cependant, il a soutenu dans un article paru dans Le Point du 13 novembre 1993 le douteux Gabriel Matzneff (qui, rendons-lui le mérite de la franchise, assumait ouvertement sa pédophilie) en des termes qui mettent mal à l’aise. On pourrait tout aussi bien évoquer cette phrase : « Mon rêve aurait été d’être un intellectuel juif ». Ce qui en soit n’est pas incompatible avec le statut d’officier supérieur soviétique, pour peu qu’il soit affecté au commissariat politique….
Jean d’Ormesson est mort. La neige tombe sur le massif de la Chartreuse et en 3e division écossaise, Peterhead est allé s’imposer sur la pelouse du Stirling Albion grâce à McAllister…
Hristo XIEP
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