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Pour exorciser collectivement l’émotion et la peur, une multitude en état de sidération et en besoin de communion s’est soumise inconsidérément au mot d’ordre « Je suis Charlie », orchestré par les médias.
Il y a dans cette affirmation une double confusion (ou doit-on dire un double amalgame ?) : celle de l’identification de chacun à ce papier journal que plus personne ne lisait, et celle de cet hebdomadaire avec la liberté d’expression, incarnée par la presse et érigée en valeur suprême de la république.
La première relève de la possession diabolique, de l’hystérie collective, ou de la pensée magique qui assimile l’individu à un totem.
La seconde révèle une absence de réflexion sur la réalité et les conditions d’existence de ces libertés.
La liberté d’expression par la presse existe-elle réellement ?
Affirmée par la Révolution mais vite éliminée par la Terreur, elle est, en France, le fruit d’une grande revendication des républicains qui fit chuter le dernier roi de France en 1830, et le roi des français en 1848, avant de miner le second empire. Elle fut assurée, en principe, sous la troisième république par la loi de 1881, suivie en 1906 de l’abolition de la censure. L’opposition de l’Église fut un aliment dont l’anticléricalisme s’est régalé.
Cette liberté se heurte pourtant à deux limites majeures :
La première est le mur de l’argent. Par nature, la ploutocratie se cache particulièrement bien derrière les démocraties.Tocqueville a montré que la passion de celles-ci pour l’égalité des conditions, c’est-à-dire des droits, loin d’éliminer l’inégalité des fortunes, la favorise au contraire, tendant à en faire la seule façon de se distinguer.
La crise de la presse proprement dite, liée à celle de la lecture sur papier, a aggravé les choses. Un journal, pour vivre et ne pas trop dépendre des réactions de ses lecteurs, doit être financé. Des milliardaires, propriétaires de groupes puissants, ont racheté tous les « grands » journaux, prétendument libres. Pierre Bergé, propriétaire du Monde et du (nouvel) Obs en est un exemple significatif. Nous sommes priés de ne pas rire quand tous disent l’avoir fait par amour désintéressé, sans jamais donner d’ordre. A leur place, ou même avec eux, l’Etat subventionne plus qu’aucun autre au monde des titres en difficulté, par exemple « l’Humanité », et maintenant « Charlie » pour garantir le pluralisme ! On est, là encore, prié de ne pas rire. Le terme « presse », au sens propre de parutions imprimées, tend d’ailleurs à être obsolète puisque ce média devient marginal, sauf moment exceptionnel exploité. La question de la liberté des médias prend alors une autre dimension, bien qu’avec des données analogues. Certes, Internet, par sa fluidité mondiale, échappe en partie à ces pouvoirs, mais ceux-ci s’emploient cependant à utiliser de façon intrusive, les informations qu’il fournit, et à trouver des prétextes pour le contrôler.
La seconde limite à la liberté de la presse comme liberté d’expression, est, dans notre pays, la législation liberticide. La censure a souvent été provisoirement rétablie au nom de situations d’urgences réelles ou supposées. La récente décision du Conseil d’Etat concernant Dieudonné en est un des exemples les plus grotesques. En principe, on ne censure ordinairement plus. Cependant les lois qui, modifiant celle de 1881, interdisent le racisme et l’antisémitisme dans une dualité qui mériterait à elle seule bien des commentaires, ou le révisionnisme, c’est-à-dire le travail de l’histoire, assimilé au négationnisme touchant la Shoah, ou encore les phobies décrétées telles selon les toquades et les passions partisanes du législateur, tissent un tissu d’interdits bien plus redoutable et paralysant. Cela d’autant plus que leur interprétation est largement laissée à des juges souvent militants, membres notamment du Syndicat de la magistrature, bâtisseur du scandaleux mur des cons.
Un jugement honnête ne devrait transformer en délit une opinion que l’on a proclamée libre dans la Constitution, que si un préjudice est établi : insulte ou diffamation, mais si on la déclare « phobie », elle peut devenir passible de l’hôpital psychiatrique, comme au bon vieux temps du système soviétique.
Le résultat est l’auto-censure : des journalistes, ou assimilés, devenus nouveaux chiens de garde de la doxa, guettent agressivement le moindre écart, décrété « dérapage », et souvent le provoquent pour aboyer, hurler au loup de concert, et pétitionner pour exiger l’excommunication. La parole, surtout celle des politiciens, devient alors souvent craintive, langue de bois ou de guimauve, et robinet d’eau tiède politiquement correct.
Pour ce qui est de la vulgarité, de l’obscénité, et même de la pornographie, théoriquement proscrites, elles sont pratiquement devenues pour beaucoup d’« animateurs médiatiques » un devoir, notamment sur les chaînes de grande diffusion.
Finalement, la seule libre-expression qu’assure notre démocratie française, est celle du blasphème. « Charlie » en a usé et abusé odieusement et obsessionnellement, en priorité contre l’Église Catholique.
C’est une offense profonde faite aux croyants, que leur religion soit vraie ou fausse, une violence plus grave pour eux qu’aucune insulte, dérision ou diffamation contre leur propre personne et, bien sûr, qu’aucun manquement aux valeurs « trop humaines » de la république, qui d’ailleurs se contredisent elles-mêmes. Un démocrate qui prétend être soucieux de respect et de tolérance, devrait se sentir « interpellé ».
La réponse par la terreur et par l’obligation de tuer est, bien sûr, un fanatisme à combattre, mais ne songer qu’à réprimer et endoctriner ceux qui réagissent aux provocations publiques d’un journal qui se dit lui même « irresponsable », dénote une incompréhension obstinée, et même suspecte, qui engendre fatalement le mépris, la haine, et le risque de guerre civile.
C’est surtout un défi, à la fois terrible et dérisoire, lancé par des hommes à leur Créateur.
Descartes disait « je pense donc je suis », la pensée du sujet étant pour lui la seule preuve indubitable de son existence face aux mensonges du malin trompeur.
Si je fais usage de cette faculté de penser, je ne peux raisonnablement pas croire que « je suis Charlie » et je ne peux plus m’étonner des malheurs qui m’arrivent dans cette confusion.
Patrick Malvezin
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